Page:Maupassant - Mademoiselle Fifi.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
LE LIT.

et comme je l’aime davantage. Il me semble habité, hanté, dirai-je, par un tas de gens que je ne soupçonnais point et qui cependant ont laissé quelque chose d’eux en cette couche.

« Oh ! comme je ne comprends pas ceux qui achètent des lits nouveaux, des lits sans mémoires. Le mien, le nôtre, si vieux, si usé, et si spacieux, a dû contenir bien des existences, de la naissance au tombeau. Songez-y, mon ami ; songez à tout, revoyez des vies entières entre ces quatre colonnes, sous ce tapis à personnages tendu sur nos têtes, qui a regardé tant de choses. Qu’a-t-il vu depuis trois siècles qu’il est là ?

« Voici une jeune femme étendue. De temps en temps elle pousse un soupir, puis elle gémit ; et les vieux parents l’entourent ; et voilà que d’elle sort un petit être miaulant comme un chat, et crispé, tout ridé. C’est un homme qui commence.