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l’âne

d’autre barbe qu’une brosse de courtes moustaches et une pincée de poils raides sous la lèvre inférieure. Il était chauve des tempes.

Quand il enlevait la galette de crasse qui lui servait de casquette, la peau de sa tête semblait couverte d’un duvet vaporeux, d’une ombre de cheveux, comme le corps d’un poulet plumé qu’on va flamber.

Chicot, au contraire, rouge et bourgeonneux, gros, court et poilu, avait l’air d’un bifteck cru caché dans un bonnet de sapeur. Il tenait sans cesse fermé l’œil gauche comme s’il visait quelque chose ou quelqu’un, et quand on le plaisantait sur ce tic, en lui criant : « Ouvre l’œil, Labouise, » il répondait d’un ton tranquille : « Aie pas peur, ma sœur, je l’ouvre à l’occase. » Il avait d’ailleurs cette habitude d’appeler tout le monde « ma sœur », même son compagnon ravageur.

Il reprit à son tour les avirons ; et la barque de nouveau s’enfonça dans la brume immobile sur le fleuve, mais qui devenait blanche comme du lait dans le ciel éclairé de lueurs roses.

Labouise demanda :

— Qué plomb qu’tas pris, Maillochon ?

Maillochon répondit :

— Du tout p’tit, du neuf, c’est c’qui faut pour le lapin.

Ils approchaient de l’autre berge si lentement,