Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/152

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carpes séculaires et les brochets voraces qui venaient s’ébattre au clair de la lune.

Les petites Oriol avaient remis toute la vaisselle et les bouteilles dans le panier que le cocher vint prendre. On repartit.

En passant dans l’allée, sous les arbres, où des taches de clarté tombaient comme une pluie dans l’herbe à travers les feuilles, Christiane, qui venait l’avant-dernière, suivie de Paul, entendit soudain une voix haletante qui lui disait, presque dans l’oreille : « Je vous aime ! — Je vous aime ! — Je vous aime ! »

Son cœur se mit à battre si éperdument qu’elle faillit tomber, ne pouvant plus remuer les jambes ! Elle marchait cependant ! Elle marchait, folle, prête à se retourner, les bras ouverts et les lèvres tendues. Il avait saisi maintenant le bord du petit châle dont elle se couvrait les épaules, et il le baisait avec frénésie. Elle continuait à marcher, si défaillante, qu’elle ne sentait plus du tout le sol sous ses pieds.

Soudain elle sortit de la voûte des arbres, et se trouvant en pleine lumière, elle maîtrisa brusquement son trouble ; mais avant de monter en landau et de perdre de vue le lac, elle se tourna à moitié pour jeter vers l’eau avec ses deux mains un grand baiser que comprit bien l’homme qui la suivait.