Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de prise sur son âme paralysée par le bonheur.

Lui d’ailleurs, l’aimant avec l’emportement qu’il apportait en toutes ses passions, surexcitait jusqu’à la folie la tendresse de la jeune femme. Souvent, vers la fin du jour, quand il savait le marquis et Gontran partis aux sources :

— Allons voir notre ciel, disait-il.

Il appelait leur ciel un bouquet de sapins poussé sur la côte, au-dessus même des gorges. Ils y montaient à travers un petit bois, par un sentier rapide, qui faisait souffler Christiane. Comme ils avaient peu de temps ils allaient vite ; et, pour qu’elle se fatiguât moins, il la soulevait par la taille. Ayant mis une main sur son épaule elle se laissait enlever, et parfois lui sautant au cou posait sa bouche sur ses lèvres. À mesure qu’ils montaient l’air devenait plus vif ; et quand ils atteignaient le bouquet de sapins, l’odeur de la résine les rafraîchissait comme un souffle de la mer.

Ils s’asseyaient sous les arbres sombres, elle sur une butte d’herbe, lui plus bas, à ses pieds. Le vent dans les tiges chantait ce doux chant des pins qui ressemble un peu à une plainte ; et la Limagne immense, aux lointains invisibles, noyée dans les brumes, leur