Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/52

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— Vous êtes le médecin de la famille Oriol, docteur ?

L’autre comprit la malice et répondit un simple « Parbleu ! » plein de gaieté.

Le jeune homme reprit :

— Comment êtes-vous parvenu à gagner la confiance de ce riche client ?

— En lui ordonnant de boire beaucoup de bon vin.

Et il raconta des détails sur les Oriol. Il était un peu leur parent d’ailleurs, et les connaissait de longtemps. Le vieux, le père, un original, était très fier de son vin ; et il avait surtout une vigne dont le produit devait être absorbé par la famille et les invités. Dans certaines années on arrivait à vider les fûts que donnait ce vignoble d’élite, mais dans certaines autres on y parvenait à grand’peine.

Vers le mois de mai ou de juin, quand le père voyait qu’il serait malaisé de boire tout ce qui restait encore, il se mettait à encourager son grand fils Colosse, et il répétait : « Allons, fils, faut y parfaire. » Alors ils commençaient à se verser dans la gorge des litres de rouge, du matin au soir. Vingt fois, pendant chaque repas, le bonhomme disait d’un ton grave, en penchant le broc sur le verre de son garçon : « Faut y parfaire. » Et comme tout ce liquide chargé d’alcool lui