Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/282

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Le cocher, l’ayant pris par les jambes de derrière, le traînait vers un fossé ; et le cou s’allongea comme pour braire encore, pour pousser une dernière plainte. Quand il fut sur l’herbe, l’homme, furieux, murmura : « Quelles brutes de laisser,ca au milieu de la route. »

Personne autre n’avait parlé ; on remonta dans la voiture.

Christiane, navrée, bouleversée, voyait toute cette misérable vie d’animal finie ainsi au bord d’un chemin : le petit bourricot joyeux, à grosse tête où luisaient de gros yeux, comique et bon enfant, avec ses poils rudes et ses hautes oreilles, gambadant, libre encore, dans les jambes de sa mère, puis la première charrette, la première montée, les premiers coups ! et puis, et puis l’incessante et terrible marche par les interminables routes ! les coups ! les coups ! les charges trop lourdes, les soleils accablants, et pour nourriture un peu de paille, un peu de foin, quelques branchages, et la tentation des prairies vertes tout le long des durs chemins !

Et puis encore, l’âge venant, la pointe de fer pour remplacer la souple baguette, et le martyre affreux de la bête usée, essoufflée, meurtrie, traînant toujours des fardeaux exagérés, et souffrant dans tous ses membres, dans tout son vieux corps, râpé comme un habit de mendiant. Et puis la mort, la mort bienfaisante à trois pas de l’herbe du fossé, où la traîne, en jurant, un homme qui passe, pour dégager la route.