Page:Maupassant - Pierre et Jean, Ollendorff, 1888.djvu/295

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pestilentiel de terres malfaisantes et lointaines.

En ses heures de plus grande souffrance il ne s’était jamais senti plongé ainsi dans un cloaque de misère. C’est que la dernière déchirure était faite ; il ne tenait plus à rien. En arrachant de son cœur les racines de toutes ses tendresses, il n’avait pas éprouvé encore cette détresse de chien perdu qui venait soudain de le saisir.

Ce n’était plus une douleur morale et torturante, mais l’affolement d’une bête sans abri, une angoisse matérielle d’être errant qui n’a plus de toit et que la pluie, le vent, l’orage, toutes les forces brutales du monde vont assaillir. En mettant le pied sur ce paquebot, en entrant dans cette chambrette balancée sur les vagues, la chair de l’homme qui a toujours dormi dans un lit immobile et tranquille s’était révoltée contre l’insécurité de tous les lendemains futurs. Jusqu’alors elle s’était sentie protégée, cette chair, par le mur solide enfoncé dans la terre qui le tient, et par la certitude du repos à la même place, sous le toit qui résiste