Page:Maupassant - Souvenir (extrait de Gil Blas, édition du 1882-02-16).djvu/11

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res.

Le ciel pâlissait ; la neige devenait claire, lumineuse, luisante ; un vent froid balayait les nuages ; et une pâle roseur, comme un faible lavage d’aquarelle, s’étendait à l’orient.

Une voix lointaine soudain cria : « Qui vive ? » Une autre voix répondit. Tout le détachement fit halte. Et le capitaine partit lui-même en avant.

On attendit longtemps. Puis on recommença d’avancer. Bientôt on aperçut une masure et devant, un poste français, l’arme au bras. Un commandant à cheval nous regardait défiler. Tout à coup il demanda : « Qu’est-ce que vous portez sur ce brancard ? » Alors les capotes remuèrent ; on en vit sortir d’abord deux petites mains qui les écartaient, puis une tête ébouriffée, toute ennuagée de cheveux, mais qui souriait et répondit : « C’est moi, monsieur, j’ai bien dormi, allez. Je n’ai pas froid. » Un grand rire s’éleva parmi les hommes, un rire de vive satisfaction ; et un enthousiaste, pour exprimer sa joie, ayant vociféré : « Vive la République ! » toute la troupe, comme prise de folie, beugla frénétiquement : « Vive la République ! »

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Douze ans se sont écoulés.

L’autre jour au théâtre, la fine tête d’une jeune femme blonde éveilla en moi