Page:Maupassant - Souvenirs, paru dans Le Gaulois, 23 mars 1884.djvu/3

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et où j’espère mourir. Ce n’est pas gai tous les jours, mais c’est doux, car je suis enveloppée de souvenirs.

Je ne la quitte que pour aller passer un mois ou deux chez ma fille. Puis c’est Julie qui vient me voir à son tour. Le reste du temps, je suis seule. Cela t’étonne, n’est-ce pas, qu’on puisse vivre ainsi, seule, toute seule ? Que veux-tu ? je suis entourée d’objets familiers, si connus qu’ils me font l’effet de personnes vivantes, et qu’ils me parlent sans cesse de toutes les choses de ma vie, et des miens, des morts et des vivants éloignés.

Je ne lis plus beaucoup. Je suis vieille. Mais je songe sans fin, ou plutôt je rêve. Oh ! je ne rêve point à ma façon d’autrefois. Tu te rappelles nos folles imaginations, les aventures que nous combinions dans nos cervelles de vingt ans et tous les horizons de bonheur entrevus.

Rien de cela ne s’est réalisé. Ou plutôt c’est autre chose qui a eu lieu, moins charmant, moins poétique, mais suffisant