Page:Maupassant - Souvenirs, paru dans Le Gaulois, 23 mars 1884.djvu/5

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Oui, ma chère, il n’y a de bon que le rêve, et j’occupe à cela presque toutes mes heures. Mais, au lieu de rêver en avant, je rêve en arrière maintenant.

Je m’assois devant mon feu, dans un fauteuil doux à mes vieux os, et je retourne doucement vers les choses, les événements et les gens laissés sur ma route.

Comme c’est court, une vie, surtout celles qui se passent tout entières au même endroit.

Naître, vivre et mourir dans la même maison.

Les souvenirs sont massés, serrés ensemble. Et, quand on est vieille, il semble parfois qu’il y a à peine dix jours qu’on était jeune. Oui, tout a glissé, comme s’il s’agissait d’une journée : le matin — le midi — le soir. Et la nuit vient.

En regardant le feu, pendant des heures et des heures, le passé renaît comme si c’était d’hier. On ne sait plus où on est, le rêve vous emporte; on retraverse son existence entière.

Et souvent j’ai l’illusion d’être fillette, tant il me revient de bouffées d’autrefois, des sensations de jeunesse, des élans même, des battements de cœur d’enfant,