Page:Maupassant - Souvenirs, paru dans Le Gaulois, 23 mars 1884.djvu/9

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que chose, à peine un regret pour les morts, à peine un souvenir pour les heures finies, à peine une affection qui soit profonde. Le temps vous manque. Il faut être prête pour les visites, ne rien oublier des courses à faire, des commandes et des achats. On descend de fiacre pour monter en tramway, et, quand on peut disposer d’un quart d’heure, on fait un bout de route à pied pour respirer. Puis on rentre en retard, parce qu’on a perdu cinq minutes ici, cinq minutes là. Et, comme on est en retard du matin au soir, on n’a jamais les heures tranquilles qu’il faut pour se souvenir de l’autrefois.

Moi, je me souviens longuement, n’ayant plus à faire que cela. Et je me sens apeurée horriblement par la pensée de tout ce mouvement dans lequel tu m’appelles.

Donc, je ne bougerai point, ce printemps. Et puis, vois-tu, je suis si vieille que j’ai peur. Je voudrais bien, comme dit M. Sainte-Beuve,

Naître, vivre et mourir dans la même maison.

Tu ne m’en voudras point.

Delphine.
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