Page:Maupassant - Sur l'eau, 1888.djvu/119

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noir, tout dépouillé de ses ornements anciens, rubans et fleurs disparus depuis des temps indéfinis. Et elle allait, traînant ses pieds si péniblement que je ressentais au cœur, autant qu’elle-même, plus qu’elle-même, la douleur de tous ses pas. Deux cannes la soutenaient. Elle passait sans voir personne, indifférente à tout, au bruit, aux gens, aux voitures, au soleil ! Où allait-elle ? Vers quel taudis ? Elle portait dans un papier qui pendait au bout d’une ficelle quelque chose. Quoi ? du pain ? Oui, sans doute. Personne, aucun voisin n’ayant pu ou voulu faire pour elle cette course, elle avait entrepris, elle, ce voyage horrible, de sa mansarde au boulanger. Deux heures de route au moins pour aller et venir. Et quelle route douloureuse ! Quel chemin de la croix plus effroyable que celui du Christ !

Je levai les yeux vers les toits des maisons immenses. Elle allait là-haut. Quand y serait-elle ? Combien de repos haletants sur les marches, dans le petit escalier noir et tortueux ?

Tout le monde se retournait pour la regarder.