Page:Maupassant - Sur l'eau, 1888.djvu/153

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mes est réuni. Toutes ces personnes, côte à côte, distinctes, différentes d’esprit, d’intelligence, de passions, d’éducation, de croyances, de préjugés, tout à coup, par le seul fait de leur réunion, forment un être spécial, doué d’une âme propre, d’une manière de penser nouvelle, commune, qui est une résultante inanalysable de la moyenne des opinions individuelles.

C’est une foule, et cette foule est quelqu’un, un vaste individu collectif, aussi distinct d’une autre foule qu’un homme est distinct d’un autre homme.

Une diction populaire affirme que « la foule ne raisonne pas. » Or pourquoi la foule ne raisonne-t-elle pas, du moment que chaque particulier dans la foule raisonne ? Pourquoi une foule fera-t-elle spontanément ce qu’aucune des unités de cette foule n’aurait fait ? Pourquoi une foule a-t-elle des impulsions irrésistibles, des volontés féroces, des entraînements stupides que rien n’arrête, et emportée par ces entraînements irréfléchis, accomplit-elle des actes qu’aucun des individus qui la composent n’accomplirait ?