Page:Maupassant - Sur l'eau, 1888.djvu/161

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y a encore de l’eau, l’eau trompeuse, endormie et vivante des marais, les grandes nappes claires où se mire le ciel, où glissent les nuages et d’où sortent des foules éparses de joncs bizarres, l’eau limpide et féconde où pourrit la vie, où fermente la mort, l’eau qui nourrit les fièvres et les miasmes, qui est en même temps une sève et un poison, qui s’étale, attirante et jolie, sur les putréfactions mystérieuses. L’air qu’on respire est délicieux, amollissant et redoutable. Sur tous ces talus qui séparent ces vastes mares tranquilles, dans toutes ces herbes épaisses grouille, se traîne, sautille et rampe, le peuple visqueux et répugnant des animaux dont le sang est glacé. J’aime ces bêtes froides et fuyantes qu’on évite et qu’on redoute ; elles ont pour moi quelque chose de sacré.

À l’heure où le soleil se couche, le marais m’enivre et m’affole. Après avoir été tout le jour le grand étang silencieux, assoupi sous la chaleur, il devient, au moment du crépuscule, un pays féerique et surnaturel. Dans son miroir