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MUSOTTE

si brave garçon que mon neveu ! Je l’aime comme un fils. Moi, j’ai fait ma fortune dans le commerce…

Madame de Ronchard, à part.

Ça se voit.

Martinel.

… le commerce maritime ; lui, il est en train de faire la gloire de notre nom par sa renommée d’artiste ; il gagne de l’argent avec ses pinceaux comme j’en ai gagné avec mes bateaux. Les arts, aujourd’hui, madame, ça rapporte autant que le commerce et c’est moins aléatoire. Par exemple, s’il est arrivé aussi vite, c’est bien à moi qu’il le doit. Mon pauvre frère mort, et sa femme l’ayant suivi de près, je me suis trouvé, garçon, seul avec le petit. Dame ! je lui ai fait apprendre tout ce que j’ai pu. Il a tâté la science, la chimie, la musique, la littérature. Mais il mordait au dessin plus qu’à tout le reste. Ma foi, je l’ai poussé de ce côté. Vous voyez que ça a réussi. À trente ans, il est célèbre, il vient d’être décoré…

Madame de Ronchard.

Décoré à trente ans, c’est tard pour un peintre.

Martinel.

Bah ! il rattrapera le temps perdu.(Se levant.) Mais, je bavarde, je bavarde… Excusez-moi. Je suis un homme tout rond. Et puis, je suis un peu animé par le dîner. C’est la faute à Petitpré, son bourgogne est excellent, un vrai vin de conseiller à la Cour. Et nous buvons bien, au Havre ! (Il va finir son verre de fine champagne.)