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YVETTE.

— Je vous ferai changer cette opinion-là, Muscade.

Puis elle se rapprocha de sa mère, qui marchait à tout petits pas, la tête baissée, de cette allure alanguie qu’on prend lorsqu’on cause tout bas, en se promenant, de choses très intimes et très douces. Elle dessinait, tout en avançant, des figures sur le sable, des lettres peut-être, avec la pointe de son ombrelle, et elle parlait sans regarder Saval, elle parlait longuement, lentement, appuyée à son bras, serrée contre lui. Yvette, tout à coup, fixa les yeux sur elle, et un soupçon, si vague qu’elle ne le formula pas, plutôt même une sensation qu’un doute, lui passa dans la pensée comme passe sur la terre Tombre d’un nuage que chasse le vent.

La cloche sonna le déjeuner.

Il fut silencieux et presque morne.

Il y avait, comme on dit, de l’orage dans l’air. De grosses nuées immobiles semblaient embusquées au fond de l’horizon, muettes et lourdes, mais chargées de tempête.

Dès qu’on eut pris le café sur la terrasse, la marquise demanda :

— Eh bien ! mignonne, vas-tu faire une promenade aujourd’hui avec ton ami Servi-