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2o4 PROMENADE.

vie, les événements imprévus, ies amours douces ou tragiques, les voyages aventureux, tous les hasards d'une existence libre lui étaient demeurés étrangers.

Les jours, les semaines, les mois, les sai- sons, les années s'étaient ressemblés. A la même heure, chaque jour, il se levait, partait, arrivait au bureau, déjeunait, s'en allait, dînait et se couchait, sans que rien eût jamais inter- rompu la régulière monotonie des mêmes actes, des mêmes faits, et des mêmes pensées.

Autrefois il regardait sa moustache blonde et ses cheveux bouclés dans la petite glace ronde laissée par son prédécesseur. Il contem- plait maintenant, chaque soir, avant de partir, sa moustache blanche et son front chauve dans la même glace. Quarante ans s'étaient écoulés, longs et rapides, vides comme un jour de tristesse, et pareils comme les heures d'une mauvaise nuit! Quarante ans dont il ne restait rien, pas même un souvenir, pas même un malheur, depuis la mort de ses parents. Rien.

Ce jour-là, M. Leras demeura ébloui, sur la porte de la rue, par l'éclat du soleil cou- chant; et, au lieu de rentrer chez lui, il eut