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YVETTE.

pain. Et toujours on avait le visage et les mains chatouillés par la foule innombrable et volante de ces insectes menus.

Il fallait jeter sans cesse les boissons, couvrir les assiettes, manger en cachant les mets avec des précautions infinies.

Ce jeu amusait Yvette, Servigny prenant soin d’abriter ce qu’elle portait à sa bouche, de garantir son verre, d’étendre sur sa tête, comme un toit, sa serviette déployée. Mais la marquise, dégoûtée, devint nerveuse, et la fin du dîner fut courte.

Yvette, qui n’avait point oublié la proposition de Servigny, lui dit :

— Nous allons dans l’île, maintenant.

Sa mère recommanda d’un ton languissant :

— Surtout, ne soyez pas longtemps. Nous allons, d’ailleurs, vous conduire jusqu’au passeur.

Et on partit, toujours deux par deux, la jeune fille et son ami allant devant, sur le chemin de halage. Ils entendaient, derrière eux, la marquise et Saval qui parlaient bas, très bas, très vite. Tout était noir, d’un noir épais, d’un noir d’encre. Mais le ciel fourmillant de grains de feu, semblait les semer dans