Page:Maupassant - Yvette.djvu/302

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Elle marcha de très bonne heure, mais elle refusa absolument de parler. Je la crus sourde d’abord ; puis je constatai qu’elle entendait parfaitement, mais qu’elle ne comprenait pas. Les bruits violents la faisaient tressaillir, l’effrayaient sans qu’elle se rendît compte de leurs causes.

Elle grandit ; elle était superbe, et muette, muette par défaut d’intelligence. J’essayai de tous les moyens pour amener dans cette tête une lueur de pensée ; rien ne réussit. J’avais cru remarquer qu’elle reconnaissait sa nourrice ; une fois sevrée, elle ne reconnut pas sa mère. Elle ne sut jamais dire ce mot, le premier que les enfants prononcent et le dernier que murmurent les soldats mourant sur les champs de bataille : « Maman ! » Elle essayait parfois des bégaiements, des vagissements, rien de plus.

Quand il faisait beau, elle riait tout le temps en poussant des cris légers qu’on pouvait comparer à des gazouillements d’oiseau ; quand il pleuvait, elle pleurait et gémissait d’une façon lugubre, effrayante, pareille à la plainte des chiens qui hurlent à la mort.

Elle aimait se rouler dans l’herbe à la façon des jeunes bêtes, et courir comme une folle, et elle battait des mains chaque matin si elle voyait