Page:Maupassant - Yvette.djvu/70

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Ils ouvrirent la grille et se mirent à descendre le long de la rivière, vers Marly.

C’était l’heure fraîche qui précède le jour, l’heure du grand sommeil, du grand repos, du calme profond. Les bruits légers de la nuit eux-mêmes s’étaient tus. Les rossignols ne chantaient plus ; les grenouilles avaient fini leur vacarme ; seule, une bête inconnue, un oiseau peut-être, faisait quelque part une sorte de grincement de scie, faible, monotone, régulier comme un travail de mécanique.

Servigny, qui avait par moments de la poésie et aussi de la philosophie, dit tout à coup :

— Voilà. Cette fille me trouble tout à fait. En arithmétique, un et un font deux. En amour, un et un devraient faire un, et ça fait deux tout de même. As-tu jamais senti cela, toi ? Ce besoin d’absorber une femme en soi ou de disparaître en elle ? Je ne parle pas du besoin bestial d’étreinte, mais de ce tourment moral et mental de ne faire qu’un avec un être, d’ouvrir à lui toute son âme, tout son cœur et de pénétrer toute sa pensée jusqu’au fond. Et jamais on ne sait rien de lui, jamais on ne découvre toutes les fluctuations de ses volontés, de ses désirs, de ses opinions. Jamais on ne devine, même un peu, tout l’in-