Page:Maupassant Bel-ami.djvu/123

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Il la regardait et il la vit rougir, un peu troublée, comme si cette question brusque eût éveillé en elle un souvenir délicat. Après une de ces hésitations féminines si courtes qu’il les faut deviner, elle répondit : — C’est un ami… — puis, après un silence, elle ajouta… — qui est mort. — Et elle baissa les yeux avec une tristesse bien naturelle.

Et Duroy, pour la première fois, songea à tout ce qu’il ne savait point dans la vie passée de cette femme, et il rêva. Certes elle avait eu des amants, déjà, mais de quelle sorte ? de quel monde ? Une vague jalousie, une sorte d’inimitié s’éveillait en lui contre elle, une inimitié pour tout ce qu’il ignorait, pour tout ce qui ne lui avait point appartenu dans ce cœur et dans cette existence. Il la regardait, irrité du mystère enfermé dans cette tête jolie et muette et qui songeait, en ce moment-là même peut-être, à l’autre, aux autres, avec des regrets. Comme il eût aimé regarder dans ce souvenir, y fouiller, et tout savoir, tout connaître !…

Elle répéta : — Veux-tu me conduire à La Reine Blanche ? Ce sera une fête complète.

Il pensa : « Bah ! qu’importe le passé ? Je suis bien bête de me troubler de ça. » Et, souriant, il répondit : — Mais certainement, ma chérie.

Lorsqu’ils furent dans la rue, elle reprit, tout bas, avec ce ton mystérieux dont on fait les confidences : — Je n’osais point te demander ça, jusqu’ici ; mais tu ne te figures pas comme j’aime ces escapades de garçon dans tous ces endroits où les femmes ne vont pas. Pendant le carnaval je m’habillerai en collégien. Je suis drôle comme tout en collégien.

Quand ils pénétrèrent dans la salle de bal, elle se serra contre lui, effrayée et contente, regardant d’un œil ravi