Page:Maupassant Bel-ami.djvu/340

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Elle demandait : — À qui cette bouche-là ? — Et quand il ne répondait pas tout de suite : — C’est à moi ; — elle insistait jusqu’à le faire pâlir d’énervement.

Elle aurait dû sentir, lui semblait-il, qu’il faut, en amour, un tact, une adresse, une prudence et une justesse extrêmes, que s’étant donnée à lui, elle mûre, mère de famille, femme du monde, elle devait se livrer gravement, avec une sorte d’emportement contenu, sévère, avec des larmes peut-être, mais avec les larmes de Didon, non plus avec celles de Juliette.

Elle lui répétait sans cesse : — Comme je t’aime, mon petit ! M’aimes-tu autant, dis, mon bébé ?

Il ne pouvait plus l’entendre prononcer « mon petit » ni « mon bébé » sans avoir envie de l’appeler « ma vieille ».

Elle lui disait : — Quelle folie j’ai faite de te céder. Mais je ne le regrette pas. C’est si bon d’aimer !

Tout cela semblait à Georges irritant dans cette bouche. Elle murmurait : « C’est si bon d’aimer » comme l’aurait fait une ingénue, au théâtre.

Et puis elle l’exaspérait par la maladresse de sa caresse. Devenue soudain sensuelle sous le baiser de ce beau garçon qui avait si fort allumé son sang, elle apportait dans son étreinte une ardeur inhabile et une application sérieuse qui donnaient à rire à Du Roy et le faisaient songer aux vieillards qui essaient d’apprendre à lire.

Et quand elle aurait dû le meurtrir dans ses bras, en le regardant ardemment de cet œil profond et terrible qu’ont certaines femmes défraîchies, superbes en leur dernier amour, quand elle aurait dû le mordre de sa bouche muette et frissonnante en l’écrasant sous sa chair épaisse et chaude, fatiguée mais insatiable, elle se trémoussait comme une gamine et zézayait pour être gra-