Page:Maupassant Bel-ami.djvu/342

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Il avait envie de la maltraiter, de l’injurier, de la frapper, de lui dire nettement : « Zut, j’en ai assez, vous m’embêtez. » Mais il gardait toujours quelques ménagements, à cause de la Vie Française ; et il tâchait, à force de froideur, de duretés enveloppées d’égards et même de paroles rudes par moments, de lui faire comprendre qu’il fallait bien que cela finît.

Elle s’entêtait surtout à chercher des ruses pour l’attirer rue de Constantinople, et il tremblait sans cesse que les deux femmes ne se trouvassent, un jour, nez à nez, à la porte.

Son affection pour Mme de Marelle, au contraire, avait grandi pendant l’été. Il l’appelait son « gamin », et décidément elle lui plaisait. Leurs deux natures avaient des crochets pareils ; ils étaient bien, l’un et l’autre, de la race aventureuse des vagabonds de la vie, de ces vagabonds mondains qui ressemblent fort, sans s’en douter, aux bohèmes des grandes routes.

Ils avaient eu un été d’amour charmant, un été d’étudiants qui font la noce, s’échappant pour aller déjeuner ou dîner à Argenteuil, à Bougival, à Maisons, à Poissy, passant des heures dans un bateau à cueillir des fleurs le long des berges. Elle adorait les fritures de Seine, les gibelottes et les matelotes, les tonnelles des cabarets et les cris des canotiers. Il aimait partir avec elle, par un jour clair, sur l’impériale d’un train de banlieue et traverser, en disant des bêtises gaies, la vilaine campagne de Paris où bourgeonnent d’affreux chalets bourgeois.

Et quand il lui fallait rentrer pour dîner chez Mme Walter, il haïssait la vieille maîtresse acharnée, en souvenir de la jeune qu’il venait de quitter, et qui avait défloré ses désirs et moissonné son ardeur dans les herbes du bord de l’eau.