Page:Maupassant Bel-ami.djvu/90

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Elle vint à lui : — Bonjour, mon chat. Tu vas bien ?

— Très bien, et toi ?

— Moi, pas mal. Tu ne sais pas, j’ai rêvé deux fois de toi depuis l’autre jour.

Duroy sourit, flatté : — Ah ! ah ! et qu’est-ce que ça prouve ?

— Ça prouve que tu m’as plu, gros serin, et que nous recommencerons quand ça te dira.

— Aujourd’hui si tu veux.

— Oui, je veux bien.

— Bon, mais écoute… — Il hésitait, un peu confus de ce qu’il allait faire : — C’est que, cette fois, je n’ai pas le sou : je viens du cercle, où j’ai tout claqué.

Elle le regardait au fond des yeux, flairant le mensonge avec son instinct et sa pratique de fille habituée aux roueries et aux marchandages des hommes. Elle dit : — Blagueur ! Tu sais, ça n’est pas gentil avec moi cette manière-là.

Il eut un sourire embarrassé : — Si tu veux dix francs, c’est tout ce qui me reste.

Elle murmura avec un désintéressement de courtisane qui se paie un caprice :

— Ce qui te plaira, mon chéri : je ne veux que toi.

Et levant ses yeux séduits vers la moustache du jeune homme, elle prit son bras et s’appuya dessus amoureusement : — Allons boire une grenadine d’abord. Et puis nous ferons un tour ensemble. Moi, je voudrais aller à l’Opéra, comme ça, avec toi, pour te montrer. Et puis nous rentrerons de bonne heure, n’est-ce pas ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il dormit tard chez cette fille. Il faisait jour quand il sortit, et la pensée lui vint aussitôt d’acheter la Vie Française. Il ouvrit le journal d’une main fiévreuse ; sa chro-