Page:Maupertuis - Œuvres, Dresde, 1752.djvu/242

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joint une nouvelle illusion : nous nous imaginons que l’un de ces temps nous appartient plus que l’autre. Peu curieux sur le passé, nous interrogeons avec avidité ceux qui nous promettent de nous apprendre quelque chose de l’avenir.

Les hommes se sont plus facilement persuadés qu’après leur mort ils dévoient comparoître au tribunal d’un Rhadamante, qu’ils ne croiroient qu’avant leur naissance ils auroient combattu contre Ménélas au siege de Troye.[1]

Cependant l’obscurité est la même sur l’avenir et sur le passé : et si l’on regarde les choses avec une tranquillité philosophique, l’intérêt devroit être le même aussi : il est aussi peu raisonnable d’être fâché de mourir trop tôt, qu’il seroit ridicule de se plaindre d’être né trop tard.

Sans les lumieres de la Religion, par rapport à notre être, ce temps où nous n’avons pas vécu, et celui où nous ne vivrons plus, sont deux abymes impénétrables, et dont les plus grands Philosophes n’ont pas plus percé les ténebres que le peuple le plus grossier.

Ce n’est donc point en Métaphysicien que je veux toucher à ces questions, ce n’est qu’en Naturaliste. Je laisse à des esprits plus sublimes à vous dire, s’ils peuvent, ce que c’est que votre ame, quand et comment elle est venue vous éclairer. Je tâcherai seulement de vous faire connoître l’origine de votre corps, et les différens états par lesquels vous avez passé avant que d’être dans l’état où vous êtes. Ne vous fâchez pas si je vous dis que vous avez été un ver ou un œuf, ou une espece de boue : mais ne croyez pas non plus tout perdu, lorsque vous perdrez cette forme que vous avez maintenant ; et que ce corps, qui charme tout le monde, sera réduit en poussiere.

Neuf mois après qu’une femme s’est livrée au plaisir qui perpétue le genre humain, elle met au jour une petite créature qui ne differe de l’homme que par la différente proportion et la foiblesse de ses parties. Dans les femmes mortes avant ce terme, on trouve

  1. Pythagore se ressouvenoit des différens états par lesquels il avoit passé avant que d’être Pythagore. Il avoit été d’abord Ætalide, puis Euphorbe blessé par Ménélas au siege de Troye, Hermotime, le Pêcheur Pyrrhus, et enfin Pythagore.