Page:Maupertuis - Œuvres, Dresde, 1752.djvu/289

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pétuent par des générations répétées d’individus qui les ont, et s’effacent par des générations d’individus qui ne les ont pas. Mais, ce qui est peut-être encore plus étonnant, c’est, après une interruption de ces variétés, de les voir reparoître ; de voir l’enfant qui ne ressemble ni à son pere ni à sa mere, naître avec les traits de son aïeul. Ces faits, tout merveilleux qu’ils sont, sont trop fréquens pour qu’on les puisse révoquer en doute.

La Nature contient le fonds de toutes ces variétés : mais le hasard ou l’art les mettent en œuvre. C’est ainsi que ceux dont l’industrie s’applique à satisfaire le goût des curieux, sont, pour ainsi dire, créateurs d’especes nouvelles. Nous voyons paroître des races de chiens, de pigeons, de serins, qui n’étoient point auparavant dans la Nature. Ce n’ont été d’abord que des individus fortuits ; l’art et les générations répétées en ont fait des especes. Le fameux Lyonnès crée tous les ans quelqu’espece nouvelle, et détruit celle qui n’est plus à la mode. Il corrige les formes, et varie les couleurs : il a inventé les especes de l’arlequin, du mopse, etc.

Pourquoi cet art se borne-t-il aux animaux ? pourquoi ces Sultans blasés dans des sérails qui ne renferment que des femmes de toutes les especes connues, ne se font-ils pas faire des especes nouvelles ? Si j’étois réduit comme eux au seul plaisir que peuvent donner la forme et les traits, j’aurois bientôt recours à ces variétés. Mais quelque belles que fussent les femmes qu’on leur feroit naître, ils ne connoîtront jamais que la plus petite partie des plaisirs de l’amour, tandis qu’ils ignoreront ceux que l’esprit et le cœur peuvent faire goûter.

Si nous ne voyons pas se former parmi nous de ces especes nouvelles de beautés, nous ne voyons que trop souvent des productions qui pour le Physicien sont du même genre ; des races de louches, de boiteux, de goutteux, de phthisiques : et malheureusement il ne faut pas pour leur établissement une longue suite de générations. Mais la sage Nature, par le dégoût qu’elle a inspiré