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404 ESSAY DE PHILOSOPHIE MORALE.


ra s’empêcher d’être frappé d’étonnement ; & de foupçonner da moins, qu’un plus grand Maitre que tous ces Philolbphes avoit révélé ces régies à ceux de qui nous les tenons. Mais voici un argument qui me paroît plus direcl ck plus fort.

S’il y a un Dieu qui prenne foin des choies d’ici bas : s’il y a des Vérités que tous les Hommes doivent recevoir, & fur lefquelles la lumière naturelle ne puifTe immédiatement les inftruire : il faut qu’ils y puifïent parvenir par quclqu’autre voye.

Il eft un Principe dans la Nature, plus univerlel encore que ce qu’on appelle la Lumière naturelle y plus uniforme encore pour tous les Hommes ; auffi préfent au plus ftupide qu’au plus fubtil, c’eft le Defir d’être heureux. Sera-ce un Paradoxe de dite : que c’eft de ce Principe que nous devons tirer les régies de conduite que nous devons obf èrver ; & que c’ eft par lui que nous devons reconnoître les Vérités qu’il faut croire ? Voici la connexion qui eft entre ces choies.

Si je veux m’innruire fur la Nature de Dieu ; fur ma propre Nature ; fur l’Origine du Monde ; fur là Fin ; ma Railon eft confondue : & toutes les Sedes me biffent dans la même oblcurité. Dans cette égalité de ténèbres, dans cette nuit profonde, fi je rencontre le Syfteme qui eft le feul qui puifTe remplir le Defir que j’ai d’être heureux, ne dois- je pas à cela le reconnoître pour le véritable ? Ne dois -je pas croire que celui qui me conduit au Bonheur, eft celui qui ne Jçauroit me tromper ?

C’eft une erreur, c’elt un Fanatifme, de croire que les moyens doivent être oppofés, ou différens, pour parvenir à un même but, dans cette Vie, & dans une autre Vie qui lafuivra : que pour être éternellement heureux, il faille commencer par s’accabler de trifteffe & d’amertume. C’cil une Impieté de penlèr que la Divinité nous ait détournés du vrai Bonheur, en nous offrant un Bonheur qui lui étoit incompatible.

Tout ce au il faut faire dans cette Vie pour y trouver le plus vraml Bonheur dont notre Nature fit capable, eft fans doute cela même qui doit nous conduire au Bonheur étemel.

F I N.
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Imprimé à Leipsic, chez Jean Gottlob Immanuel Breitkopf, 1752.