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les élèves d’ingres

à Delphes ne satisferont jamais que la curiosité des érudits : mais l’adjonction judicieuse de quelques morceaux en ferait des objets d’art d’une portée très générale. Nous qui collectionnons les moindres bibelots et les plus insignifiants souvenirs, qui sommes accablés de tant de respect et agenouillés devant tant d’idoles, admirons, sans nul parti-pris, la sincère expression d’eux-mêmes que les gothiques de 1830 ont su ajouter aux charmes réparés des œuvres du Moyen-Age ; méditons sur l’audace des restaurateurs.

M. Ingres avait pris grand soin de modérer les tendances archaïques de ses élèves. Quelle leçon il sut donner à l’un d’entre eux (Lefrançois), lorsqu’étant allé avec lui à Orvieto pour copier les Signorelli, il s’écriait : « Sans doute c’est beau, c’est très beau ; mais… c’est laid : tenez, moi, je suis un grec, allons-nous-en ! »

« Ces messieurs, disait-il aussi, en parlant de Stürler et d’Amaury-Duval, ces messieurs sont à Florence, moi je suis à Rome…, vous entendez, je suis à Rome. Ils étudient le gothique. Il n’y a que les Grecs ! » Paroles très dures pour ces Primitifs qu’il avait tant aimés, qu’il avait découverts, ajouterai-je, et qu’il s’était si parfaitement assimilés ! Paroles très dures, mais nécessaires ! — Tandis que les disciples d’Overbeck s’enfermaient dans l’imitation servile, minutieuse, des Primitifs et qu’ainsi se formait en plein xixe siècle cette tradition moyen-âgeuse que devaient illustrer, après l’école allemande, Dante Gabriel Rossetti et les P. R. B., et dont l’influence persiste chez plusieurs peintres contemporains, — les élèves d’Ingres demeurèrent fidèles au culte de l’Antique, à la plénitude de la forme, à l’amour de la nature. Si pénétrés qu’ils fussent du désir d’exprimer des sentiments nobles ou des idées, l’intolérance du Maître les empêcha de méconnaître les exigences de leur art. Ce furent des peintres. Leur goût des Primitifs ne comportait guère de littérature.

Que leur ont-ils emprunté ? Des sujets et surtout des procédés pour les décorations d’églises : la peinture à l’en-