Page:Maurice Denis Théories (1890-1910)-1920.djvu/182

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nissaient ses adeptes[1], au moment des grandes manifestations du symbolisme littéraire, il retrouva à Paris ses idées sous la forme systématique et raffinée que leur donnait un Albert Aurier, par exemple.

Ce n’est peut-être pas lui qui a inventé le Synthétisme, lequel devint, par le contact avec les littérateurs, le Symbolisme ; E. Bernard, sur cette question controversée, est très affirmatif. Mais Gauguin était tout de même le Maître, le Maître incontesté, celui dont on recueillait, dont on colportait les paradoxes, dont on admirait le talent, la faconde, le geste, la force physique, la rosserie, l’imagination inépuisable, la résistance à l’alcool, le romantisme des allures. Le mystère de son ascendant fut de nous fournir une ou deux idées, très simples, d’une vérité nécessaire, à l’heure où nous manquions totalement d’enseignement. Ainsi, sans avoir jamais cherché la beauté au sens classique, il nous amena presque aussitôt à en être préoccupés. Il voulait avant tout rendre le caractère, exprimer la « pensée intérieure », même dans la laideur. Il était encore impressionniste, mais il prétendait lire le livre « où sont écrites les lois éternelles du Beau[2] ». Il était férocement individualiste et cependant il s’accrochait aux traditions populaires, les plus collectives, les plus anonymes. — Nous tirions une loi, un enseignement, une méthode de ces contradictions.

Mais l’idéal impressionniste était loin d’être périmé, à cette date déjà lointaine. On pouvait vivre de l’acquit d’un Renoir ou d’un Degas. Il nous le transmettait, grevé déjà des emprunts qu’il avait faits lui-même à la tradition classique et à Cézanne. Il nous révélait l’œuvre de Cézanne non pas comme celle d’un indépendant de génie, d’un irrégulier de l’école de Manet, mais comme ce qu’elle est réellement, l’aboutissement d’un long effort, le résultat nécessaire d’une grande crise.

Les impressionnistes, expliqués par ses œuvres et ses paradoxes, c’était bien toujours le soleil, la lumière diffuse,

  1. Et aussi ses amis Émile Bernard, Filiger de Hahn, Maufra, et encore Chamaillard qui eurent quelque influence sur l’évolution de ses idées. Ne pas oublier qu’il fréquenta beaucoup Van Gogh.
  2. Préface du catalogue d’Armand Seguin, 1890.