Page:Maurice Denis Théories (1890-1910)-1920.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la liberté de composition, le sens des valeurs selon Corot, la technique chatoyante, le goût de la couleur fraîche, enfin le japonisme, ce levain qui peu à peu envahissait toute la pâte ; c’était cela, oui ; mais bien autre chose encore. Il nous annonçait les deux testaments à la fois.

Il nous libérait de toutes les entraves que l’idée de copier apportait à nos instincts de peintre. À l’atelier où le réalisme le plus grossier avait succédé à l’académisme falot des derniers élèves d’Ingres ; où l’un de nos professeurs, Doucet, nous conseillait de relever l’intérêt d’un sujet d’esquisse, emprunté à la Passion de J.-C., en utilisant des photographies de Jérusalem ; — nous aspirions à la joie de « s’exprimer soi-même », que réclamaient si instamment aussi les jeunes écrivains d’alors. La théorie des équivalents nous en fournissait les moyens, nous l’avions tirée de son imagerie expressive ; il nous donnait droit au lyrisme ; et par exemple, s’il était permis de peindre en vermillon cet arbre qui nous avait paru, à tel instant, très roux, pourquoi ne pas traduire plastiquement en les exagérant ces impressions qui justifient les métaphores des poètes : affirmer jusqu’à la déformation la courbure d’une belle épaule, outrer la blancheur nacrée d’une carnation, raidir la symétrie d’une ramure que n’agite aucun vent ?

Cela nous expliquait tout le Louvre et les Primitifs, et Rubens et Véronèse. Seulement, nous complétions là l’enseignement rudimentaire de Gauguin, en substituant à son idée simpliste des couleurs pures, celle des belles harmonies, infiniment variées comme la nature ; nous adaptions à tous les états de notre sensibilité, toutes les ressources de la palette ; et les spectacles qui les motivaient nous devenaient autant de signes de notre subjectivité. Nous cherchions des équivalents, mais des équivalents en beauté ! — Auprès de nous, des Américains exagérément consciencieux déployaient une habileté stupide à copier, sous le jour sale, les formes banales de quelque modèle insignifiant. Nous avions l’œil rempli des magnificences que Gauguin avait rapportées de la Martinique et de Pont-Aven. Rêves splendides auprès des réalités misérables de l’enseignement officiel ! C’étaient une griserie bienfaisante, un inoubliable enthousiasme ! En