Page:Maurice Denis Théories (1890-1910)-1920.djvu/184

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outre, Sérusier nous prouvait par Hegel, et les lourds articles d’Albert Aurier insistaient sur ce fait, que logiquement, philosophiquement, c’était Gauguin qui avait raison.

Nous ne sentions guère, alors, la saveur de son exotisme, les raffinements quasi barbares de son impressionnisme. Nous ne voyions en lui que l’exemple péremptoire de l’Expression par le Décor.

Le mot décoratif n’était pas encore devenu le « tarte à la crème » des discussions entre artistes, et même entre gens du monde. Gauguin, avec une rare inconscience, se défendait contre ses admirateurs les plus clairvoyants d’être un décorateur. Le fait qu’il s’avouait artisan, qu’il fabriquait des meubles, de la poterie, qu’il ornait même ses sabots, nous laissait sentir très vivement l’apostrophe d’Aurier : « Eh quoi nous n’avons, en notre siècle agonisant, qu’un grand décorateur, deux peut-être, en comptant Puvis de Chavannes, et notre imbécile société de banquiers et de polytechniciens refuse de donner à ce rare artiste le moindre palais, la plus infime masure nationale où accrocher les somptueux manteaux de ses rêves ! » (Revue encyclopédique, avril 1892).

Sa facture probe, homogène, souple et large, qu’il tenait évidemment de Cézanne, était aussi éloignée du pointillisme scientifique que des truquages vernissés des premiers élèves de Moreau. Il exécutait une toile de 6 avec l’ampleur d’une fresque immense. Et de là nous tirions cette sage maxime que tout tableau a pour but de décorer, doit être ornemental.

L’art nouveau et son snobisme n’existait pas encore. L’Exposition de 1889 n’avait pas encore fait connaître les recherches de l’étranger, des Anglais surtout.

Ainsi il avait eu la chance, à un instant unique, de projeter dans l’esprit de quelques jeunes gens cette éblouissante lumière que l’art est avant tout un moyen d’expression. Il leur avait appris, peut-être sans le vouloir, que tout objet d’art doit être décoratif. Enfin par l’exemple de son œuvre, il avait prouvé que toute grandeur, toute beauté ne vaut pas sans la simplification, la clarté, ni sans l’homogénéité de matière.