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le renoncement de carrière

festations en soieries témoignages, et ne ressemblent qu’à nous-mêmes. »

De tels accents ne trompent pas ; ils garantissent en même temps, et la sincérité de l’homme, et l’intérêt profond de l’œuvre ; oui, la force de transmission qui réside dans l’art ne peut faire défaut à qui palpite d’un tel lyrisme.

Il n’y eut pas d’artiste plus chrétien, au sens étroit et vaguement janséniste où on l’entend volontiers aujourd’hui. Toute la douleur acceptée, la résignation à la vie mauvaise, le sacrifice de soi, la douceur et la bonté, il l’a su fixer en des attitudes expressives. Il semble que sur son âme anxieuse pesait l’angoissant mystère de la Faute et de la Malédiction originelles. Tout pour lui était ombre et mystère. Sans doute l’optimisme de Giotto, de Fra Angelico et de Rubens sont plus conformes à la définition du Dogme ; chez eux, l’éclat, la fraîcheur des couleurs disent l’allégresse du monde racheté et régénéré par Dieu même ; et il est providentiel que le prétendu paganisme de Raphaël célèbre glorieusement dans le Palais du Pontife, par un équilibre unique de la beauté plastique ét de l’expression mystique, la sérénité du bonheur chrétien.

L’austérité de Carrière ne se tempère de nulle volupté. Et comme il rejette le délicieux frisson des nuances colorées, il s’abstient de représenter les joies naturelles ; ses nus de femmes sont d’une tristesse presque douloureuse ; il n’y a rien de païen en lui. L’âme antique était rude et vaine, a dit Verlaine et je sais bien aussi que l’art païen ne fut pas une perpétuelle bacchanale, comme nous le firent croire les rhéteurs et les restaurateurs de la Renaissance ou les naturalistes du temps présent. Le fond de la légende antique, c’est Prométhée, c’est Œdipe, c’est les Atrides, et sous toutes ces tragédies la désespérante Fatalité. La vie et la mort de Jésus-Christ ne sont pas non plus quelque chose de très gai ; mais l’austérité de l’Évangile est comme enveloppée de bonté et de tendresse. C’est cette tendresse et c’est cette bonté qu’on retrouve dans les Madones, les Nativités, les Visitations, les Saintes Familles que rassemble l’exposition posthume de la Société Nationale. Sans doute, Carrière leur a donné des titres plus modernes, moins suspects de cléricalisme, mais ce sont de vieux sujets chrétiens qu’il peignait, et son âme