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le soleil

Mme  Morisot devant les Monet. Vous distinguez mal ce qui est au soleil de ce qui est à l’ombre, il n’y a ni violet ni orangé clair. Comme chez les Vénitiens, la lumière est devenue de la couleur[1]. Le soleil n’est plus ici un simple phénomène d’éclairage, c’est un mythe de beauté, un foyer d’harmonie, un incomparable vêtement dont la nature s’habille. Loin de décolorer les objets, il en exalte les teintes, les porte au paroxysme ; il favorise l’art du peintre, autorise tous les excès de la couleur. On pense à Delacroix et l’on est frappé de la similitude des méthodes. Les coloristes n’aiment pas la peinture claire. Et peut-être que pour retrouver dans une œuvre d’art, aussi réelle que chez Gauguin, la présence du soleil, il faut remonter jusqu’à l’art du vitrail gothique, jusqu’aux tapis d’Orient.

« Le soleil est une chose qu’on ne peut pas reproduire, mais qu’on peut représenter. » Je revois par le souvenir l’étroite et ombreuse rue d’Aix en Provence, où Cezanne, ce printemps passé, nous expliquait l’objet de ses recherches et de son effort, la lumière, cette insaisissable chimère de tout l’art moderne. Et il nous montrait tantôt l’éclat bouillonnant du ruisseau, véhicule incolore de paillettes lumineuses, tantôt le faîte des maisons et les toits rutilants de soleil. Admirable formule qui résumait en le contraste de ces deux mots : reproduire et représenter, notre doctrine du Symbolisme pictural, non littéraire — le Symbolisme des équivalents — opposée au vain effort de copie directe des photographes de l’École des Beaux-Arts, et des naturalistes de l’école du « Tempérament ». Admirable et didactique formule ! tout l’art consiste à nous représenter nous-mêmes, à traduire nos sensations en beauté, à faire avec du soleil, de la couleur. La jeune peinture cherche évidemment à s’évader de la copie directe. Les équivalents, les formules qu’elle crée sont peut-être trop schématiques ; mais c’est la bonne méthode.

  1. J’ai observé que le jeu des ombres et des lumières ne formait nullement un équivalent coloré d’aucune lumière… La richesse d’harmonie, d’effet, disparait, est emprisonnée dans un moule uniforme. Quel en serait donc l’équivalent ? La couleur pure ! (P. Gauguin, cité par M. de Rotonchamp.)