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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

Les mêmes principes de couleur qui font la richesse d’un Gauguin ou d’un Van Gogh ont été appliqués par Tintoret et Titien. La beauté des courbes, le style des lignes d’un Degas ou d’un Puvis de Chavannes se retrouvent au flanc des vases grecs et dans les fresques des Primitifs.

Nous ne connaissons qu’un petit nombre de vérités positives ; du moins les lois entrevues, les certitudes acquises par nos libres expériences, nous pouvons les vérifier dans le passé ; et c’est ainsi que l’idée de tradition, d’abord informe et rudimentaire, tend il se développer et à s’enrichir.

Aussi bien, étant admis le symbolisme ou théorie des équivalents, nous pouvons définir le rôle de l’imitation dans les arts plastiques. C’est cette connaissance qui est le problème central de la peinture. L’école d’Overbeck, l’école d’Ingres, toutes les écoles académiques ont eu le culte de la beauté canonique objective, — et ainsi la question élait mal posée. Mais la grande erreur des académies du xixe siècle c’est d’avoir enseigné une antinomie entre le style et la nature. Les Maîtres n’ont jamais distingué la réalité, en tant qu’élément d’art, et l’interprétation de la réalité. Leurs dessins, leurs études d’après nature ont autant de style que leurs tableaux. Le mot idéal est trompeur : il date d’une époque d’art matérialiste. On ne stylise pas artificiellement, après coup, une copie stupide de la nature. « Faites ce que vous voudrez, pourvu que ce soit intelligent », disait Gauguin. Même lorsqu’il copie, l’artiste véritable est poète. La technique, la matière, le but de son art l’avertissent assez de ne pas confondre l’objet qu’il crée avec le spectacle de nature qui en est l’occasion. Le point de vue symboliste veut que nous considérions l’œuvre d’art comme l’équivalent d’une sensation reçue : la nature peut donc n’être, pour l’artiste, qu’un état de sa propre subjectivité. Et ce que nous appelons la déformation subjective, c’est pratiquement le style.

Mais la nature n’est pas seulement le miroir où nous nous regardons nous-mêmes et où nous projetons les illusions de nos sens : c’est un objet sur lequel s’exerce comme sur l’objet d’art le jugement de notre raison. Toutes les belles