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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

œuvres comportent donc un certain équilibre entre la subjectivité et l’objectivité, — entre l’idéale nature révélée par nos sens d’artiste, et la réalité que notre raison connaît. Appliquées au corps humain, par exemple, les deux déformations, subjective et objective, auxquelles je réduis la notion de l’art, se limitent par le sentiment du vraisemblable et du possible. La connaissance du type humain permet à des déformateurs comme Michel-Ange, Ingres ou Degas de créer des types particuliers d’une logique tellement harmonieuse que nous nous persuadons aisément de leur réalité. « L’art de peindre, dit Cennino Cennini, consiste dans la fantaisie d’inventer des choses qu’on n’a pas vues en les faisant passer sous l’apparence du naturel, et, dans l’art de les définir avec la main de telle façon que ce qui n’est pas p vrai ait l’air de l’être — dando a dimostrare quello che non e, sia. »

De là, de cette subordination de la nature à la sensibilité et à la raison humaines, découlent toutes les règles : les bonnes proportions, les mesures dont on peut, d’après l’École de Beuron, trouver les rapports numériques aussi bien chez les Japonais que chez les Égyptiens — proportions qui coïncident en effet avec notre besoin instinctif de symétrie, d’équilibre, de géométrie ; — les lois de composition, dont la principale est d’ordonner les détails dans l’ensemble en fonction de la pensée directrice de l’œuvre, et par exemple, de situer au centre réel du tableau ce qui en est le sujet central, c’est-à-dire l’émotion originale, motif et principe de l’œuvre. Qu’un Japonais par exemple compose une page vide dans un coin de laquelle passe un vol d’oiseaux, son sujet n’est pas le vol d’oiseaux, mais le grand ciel pâle que ses oiseaux ont traversé. Le désordre apparent, les gauches perspectives d’une desserte de Cézanne tendent à localiser au milieu de la composition le sujet de peinture, le devoir d’harmonie que Cézanne s’y est proposé ; — l’harmonie par les contrastes, loi fondamentale de la couleur ; — le respect de la matière ; — l’amour de la clarté et du définitif ; — enfin la qualité du sentiment humain qui porte et soutient l’œuvre d’art.

Langage de l’homme, signe de l’idée, l’art ne peut pas ne