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les élèves d’ingres

Mottez, le charme mélancolique et bien 1830 des anges d’Amaury-Duval, la fougue dramatique ou la sérénité du Chasseriau de la Cour des Comptes, la candeur franciscaine de Janmot ; quelle variété d’efforts pour réaliser le plus poétique idéal ! Ils doivent, ces maîtres harmonieux, la plus grande part de leurs qualités d’expression à la sévérité de leurs contours, à la pureté de leur dessin. Ce serait le lieu de rééditer les théories désuètes, qui furent les leurs, et qui affirmaient la supériorité intellectuelle et philosophique de la ligne sur la couleur, et de citer Charles Blanc. Il est plus instructif, croyons-nous, de placer ici un « éreintement » de Baudelaire (Salon de 1846) où l’on découvrira, à travers les rosseries du grand critique, le véritable point de vue où il faut se placer pour juger l’École ; et qu’à une certaine époque, élève d’Ingres et idéaliste étaient synonymes :

(Baudelaire vient de nommer Flandrin, Lehmann et Amaury-Duval.)

« Leur goût immodéré pour la distinction leur joue à chaque instant de mauvais tours. On sait avec quelle admirable bonhomie ils recherchent les tons distingués… La distinction dans le dessin consiste à partager les préjugés de certaines mijaurées, frottées de littératures malsaines, qui ont en horreur les petits yeux, les grands pieds, les grandes mains, les petits fronts, et les joues allumées par la joie et la santé, — toutes choses qui peuvent être fort belles.

« Cette pédanterie dans la couleur et le dessin nuit toujours aux œuvres de ces messieurs, quelque recommandables qu’elles soient d’ailleurs. Ainsi devant le portrait bleu d’Amaury-Du al et bien d’autres portraits de femmes ingristes ou ingrisées, j’ai senti passer dans mon esprit, amenées par je ne sais quelle association d’idées, ces sages paroles du chien Berganza qui fuyait les bas-bleus aussi ardemment que ces messieurs les recherchent : « Corinne ne t’a-t-elle jamais paru insupportable ?… Quelque beaux que pussent être son bras ou sa main, jamais je n’aurais pu supporter ses caresses sans une certaine répugnance, un certain frémissement intérieur qui m’ôte ordinairement l’appétit. —