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les élèves d’ingres

ment sans cesse renouvelé de l’antiquité classique, il faut savoir gré à ces mêmes gothiques, aux élèves d’Ingres, d’avoir dégagé de la connaissance certainement plus scientifique et plus adéquate du génie grec, une poésie nouvelle, une interprétation très noble de la beauté humaine, le style de Chassériau, de Mottez ou de Chavannes, dont s’est enrichi notre art déjà pénétré, et de longue date, par les magnifiques latinismes du Poussin. Mais c’est surtout du Moyen-Age que procédaient directement leurs innovations les plus durables : par exemple le souci méticuleux et naïf de la nature, l’intelligence des lois de la décoration murale, la renaissance enfin, dans les arts, de l’esprit chrétien…

Il eût suffi d’exposer ses idées aux derniers élèves d’Ingres sur la fin de leur vie, alors que l’académisme décadent de leurs successeurs finissait en je ne sais quel naturalisme éclectique et froid, et qu’eux-mêmes s’inquiétaient de l’avenir, pour les consoler de l’effondrement apparent de leurs théories, et du discrédit momentané où tombait l’enseignement qu’ils avaient reçu. Ils se fussent enorgueillis à juste titre d’avoir conservé le culte du Style et des Méthodes constructives, à une époque où d’autres peintres plus épris de la vie vivante, des réalistes, ceux qui « tendaient à restreindre l’art au domaine de la sensation », accumulaient des trésors inépuisables de visions neuves et de matériaux encore inusités. Aussi bien, ce sont, ensuite, les disciples les plus audacieux des impressionnistes, qui souhaitèrent le plus sincèrement coordonner par quelque forte discipline la multiplicité et l’incohérence de leurs émotions ; se soustraire à l’empirisme et au hasard dans la technique de l’objet d’art ; se créer des méthodes pour atteindre à plus d’expression par plus d’harmonie.

Que n’ont-ils aperçu, les élèves d’Ingres, la réaction, je dirai synthétiste que voici ; et qu’après Manet, et Puvis, et Degas, et Cézanne, on revient maintenant, avec quelle ferveur, à leur Idéalisme, aux Primitifs qu’ils ont découverts, à la Rome classique qu’ils ont tant aimée, à Raphaël, aux Grecs ; à la Tradition et à la Méthode, c’est-à-dire, en somme, à la doctrine de M. Ingres.