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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

de 1890. Autour de ses aînés, la jeunesse est devenue résolument classique. On connaît l’engouement de la nouvelle génération pour le XVIIe siècle, pour l’Italie, pour Ingres : Versailles est à la mode, Poussin porté aux nues ; Bach fait salle comble ; le romantisme est ridiculisé. En littérature, en politique, les jeunes gens ont la passion de l’ordre. Le retour à la tradition et à la discipline est aussi unanime que l’était dans notre jeunesse le culte du moi et l’esprit de révolte. Je citerai ce fait que dans le vocabulaire des critiques d’avant-garde le mot « classique » est le suprême éloge, et sert par conséquent à désigner les tendances « avancées ». L’impressionnisme est désormais considéré comme une époque « d’ignorance et de frénésie » à laquelle on oppose « un art plus noble, plus mesuré, mieux ordonné, plus cultivé ». (Il s’agit d’ailleurs de l’art de M. Braque)[1].

En somme le moment est venu où il a fallu choisir, comme dit Barrès, entre le traditionnalisme et le point de vue intellectuel. Syndicalistes ou monarchistes d’Action Française, également revenus des nuées libérales ou libertaires, s’efforcent de rester dans la logique des faits, de raisonner seulement sur des réalités : mais la théorie monarchiste, le nationalisme intégral, a entre autres avantages celui de tenir compte aussi des expériences réussies du passé. Et nous autres peintres, si nous avons évolué vers le classicisme c’est que nous avions eu le bonheur de bien poser le double problème esthétique et psychologique de l’art. Nous avons substitué à l’idée de « la nature vue à travers un tempérament », la théorie de l’équivalence ou du symbole : nous affirmions que les émotions ou états d’âme provoqués par un spectacle quelconque, comportaient dans l’imagination de l’artiste des signes ou équivalents plastiques capables de reproduire ces émotions ou états d’âme sans qu’il soit besoin de fournir la copie du spectacle initial ; qu’à chaque état de notre sensibilité devait correspondre une harmonie objective capable de le traduire[2].

  1. Préface du catalogua de Georges Braque par Guillaume Apollinaire, 1908.
  2. J’ai déjà maintes fois donné cette définition du symbolisme. Elle est moins métaphysique que celle d’Aurier dans son manifeste déjà cité de 1892, mais celle d’Aurier n’a jamais été comprise des peintres. Méditons ce mot de Cézanne « J’ai