Page:Maurice Joly - La Question brulante - H Dumineray editeur, 1861.djvu/14

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rallie pas, ne se manifeste pas, ne fait explosion nulle part ? Osons le dire : C’est qu’il n’y a pas d’opinion, c’est qu’il n’y a que des individus, c’est qu’il n’y a que des intérêts ; c’est que tous les ressorts de la France sont, non pas brisés, Dieu me garde de dire un tel mot, mais si profondément détendus, qu’il n’y a plus nulle part ni action ni pensée. Le mal est profond, il est terrible, il est pire que l’agitation peut-être, car l’agitation, c’est la vie du moins ; l’atonie, c’est le commencement de la mort.

Cette prostration de l’esprit public ne devait point échapper à l’Empereur ; il n’entendait point sans doute régner sur des ombres. Avant de songer à ranimer la vie publique, son regard avait dû se porter sur toutes les parties du corps social ; ce coup d’œil dut l’effrayer : Un égoïsme dur et féroce était entré dans les mœurs en même temps qu’une froide démoralisation ; toute idée religieuse était détruite, une haine sauvage animant les uns contre le culte de leur pays, une indifférence incurable formant chez les autres une sorte de plaie indolente ; les caractères étaient détrempés, les esprits avaient perdu tout ressort ; aussi l’art, qui n’est que l’expression d’une époque, était-il descendu au même niveau, montrant partout les froides empreintes d’un siècle sans génie ; la littérature avilie se traînait dans le ruisseau ; le théâtre, qui, lui aussi, est l’expression des mœurs, n’était plus qu’un réceptacle où l’ineptie donnait rendez-vous à la licence.

Si de ces régions sociales il élevait la vue plus haut, que trouvait-il ? Des hommes de parti inconciliables dans leur haine, tous les débris des anciens régimes, masse confuse qui a mille voix, mille visages, et pas une pensée, à peine la pensée de la patrie ! Enfin, s’il regardait à ses côtés, à part quelques hommes liés étroitement à sa souveraine fortune, et dont l’esprit fut toujours égal à leur position, que trouvait-il ? Des hommes sans force ni vertu, transfuges de toutes les causes et qui s’étaient