Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/140

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qui n’ai fait de mal à personne au monde, qui ne demande qu’à vivre de mon travail, la société m’écrase et me foule aux pieds. Où donc est la Providence pour moi ? Qui est-ce qui me tirera de cet abîme ?

Et, en disant cela, il monta lentement ses quatre étages comme un homme pour qui le temps n’a aucun prix. Il n’eut pas la peine de mettre la clef dans la serrure ; sa vieille domestique, qui avait reconnu son pas dans l’escalier, lui ouvrit la porte.

C’était une pauvre femme, veuve d’un garçon de banque, que la nécessité avait réduite à faire des ménages de garçons. En voyant ce jeune homme si triste, si rangé, travaillant toujours dans son cabinet et ne recevant jamais de femmes, elle s’était attachée à lui avec le dévouement du chien caniche. La bonne femme était un peu sourde, et il lui arrivait souvent, croyant entendre son maître sonner, de se déranger inutilement. Mais elle était si dévouée, elle paraissait si heureuse quand Georges annonçait qu’il dînerait chez lui, que ce dernier supportait avec douceur les invasions inopportunes qu’elle faisait de temps en temps dans son cabinet.

— Voila ce qu’on a apporté pour monsieur, dit la veuve Michel en lui présentant divers papiers. Elle pouvait les avoir lus, car il y en avait de dépliés. Georges vit du premier coup d’œil ce que c’était. Il les froissa silencieusement.

— Des créanciers ! murmura-t-il avec une voix sourde.

C’était exact. Il y avait une sommation à lui faite par son tailleur à l’effet de payer une facture de trois cents francs ; un commandement signifié par son propriétaire, prélude probable d’une saisie-gagerie, faute de