Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/142

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Dans les professions libérales, du moment où l’on ne possède pas de fortune, on vit au jour le jour, à moins que l’on ne soit complètement arrivé. L’existence matérielle cesse en même temps que la possession du numéraire. Et, pour ceux-la mêmes qui sont arrivés, l’esclavage de l’argent peut durer longtemps, bien longtemps encore, sans certaines conditions d’ordre et de prévoyance qui n’appartiennent pas toujours aux organisations d’élite.

Mais, pour un pauvre avocat encore à ses débuts comme Georges, la position est parfois si atroce qu’il est presque impossible d’en donner une idée exacte.

Il était arrivé à Georges Raymond de vivre pendant quinze jours avec vingt-cinq francs dans sa poche, d’autres fois de rester un mois sans avoir un sou à sa disposition, vivant sur le crédit précaire d’un gargotier dont les regards inquiets interrogeaient chaque jour sa figure pour savoir s’il paierait au dernier moment.

Chose horrible ! il n’avait pu payer son terme, cette obligation inviolable dont l’inaccomplissement au jour fixé équivaut, à Paris, pour un simple particulier, à une déclaration de faillite.

Comment trouver de l’argent ? À qui en emprunter ? À d’Havrecourt ? mais il ne l’avait pas vu depuis trois semaines, et d’Havrecourt n’en avait peut-être pas. Il avait froid dans le dos à la pensée d’un refus. À Karl ? Le malheureux enfant était plus pauvre que lui. Telles étaient les sombres angoisses éprouvées par un malheureux jeune homme qui, sans doute, n’avait pas toujours été aussi prudent que l’eût voulu sa situation, mais qui n’avait aucun vice, qui était plein d’amour du travail, de bonne volonté, d’illusion, de confiance,