Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/176

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Il fut mieux servi par le hasard qu’il ne pouvait l’espérer. Une heure après, la belle inconnue, après avoir pris la main de la vicomtesse, fit mine de se retirer. Elle était accompagnée du marquis de Saporta, à qui elle semblait indiquer du geste qu’elle ne voulait pas être reconduite. Cependant le noble espagnol, tout en causant avec elle, l’avait accompagnée jusqu’au seuil du grand salon.

— Toujours adorable en vos caprices ! lui dit-il avec une galanterie toute française et légèrement ironique.

Georges la suivait de proche en proche comme le tigre qui suit sa proie. Mais quelle ne fut pas sa surprise en apercevant le marquis, non pas le marquis de Saporta, mais le marquis de la pension Lamoureux, autrement dit Chat-Botté, qui manœuvrait comme lui pour atteindre la comtesse. L’aspect d’un rival, en excitant sa jalousie, ne le rendit que plus entreprenant.

Il se trouva tout près d’elle au moment où elle traversait rapidement un petits salon désert. Tout vient en aide aux audacieux ; une fleur se détacha de sa coiffure. Georges la ramassa rapidement, devança l’inconnue de quelques pas et s’inclina devant elle, non sans quelque gaucherie, mais il avait osé !

— Qu’est-ce, monsieur ? dit la comtesse en laissant tomber un regard étrangement dédaigneux sur le téméraire débutant.

— Une fleur, madame, une rose qui vient de tomber de vos cheveux !

La comtesse fit l’aumône d’un demi-sourire en guise d’un remercîment, et tendit la main pour prendre la fleur sans s’arrêter davantage.