Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/178

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dant le jeune homme, inconnu d’elle, comme elle aurait regardé une chinoiserie.

— Je m’appelle Georges ; j’ai vingt-huit ans, et je n’ai jamais aimé.

Cette déclaration ne parut pas déplaire à la comtesse, qui sourit.

— Je crois, monsieur, que la récompense a été suffisamment honnête ; permettez-moi de me retirer.

— Oh ! madame, quelle voix vous avez ! dit Georges. C’est bien l’organe que devait avoir votre beauté. Ne partez pas encore, je vous en conjure ; laissez se prolonger pour moi une vision qui se dissipera si complétement, hélas, et sitôt !

Et en parlant ainsi Georges Raymond, faisant appel à ses meilleures inspirations de courtoisie, prit respectueusement la main de la belle dame qui s’assit comme une impératrice sur le sofa.

— Madame, vous ne me connaissez point et je n’ai pas le bonheur de vous connaître ; mais, après vous avoir vue ce soir ici, entourée d’hommages, belle à désespérer, je ne fais plus cas de rien ici-bas si je ne puis vous aimer.

— M’aimer ! dit Isabeau avec une intraduisible inflexion de voix. Vous êtes donc bien riche !

— Riche, moi ! s’écria Georges en quittant la main de la comtesse qu’il avait osé presser doucement. Ah ! c’est vrai, ajouta-t-il en éclatant de rire, j’oubliais que j’ai fait ce matin un héritage ; mais, madame, avec tout ce que je possède, je ne pourrais seulement pas payer les dix minutes de bonheur que je viens de goûter près de vous.

Cette phrase était assez énigmatique dans sa forme