Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qu’il faut de temps, d’intelligence et de ruses pour aboutir a quelque chose dans la recherche d’une succession de ce genre, en a pu le voir par les faits et gestes de Doubledent, qui appartenait à cette dernière catégorie d’agents d’affaires, quoique ses aptitudes lui permissent d’étendre son activité sur d’autres objets. Mais la découverte de cette succession avait été pour lui le moyen d’arriver immédiatement au but : la fortune !

Partir de rien et arriver à tout ; réaliser un million avec une centaine de mille francs péniblement amassés et décupler ensuite le premier million gagné par un coup d’audace, tel était le rêve de Doubledent. Il ne convoitait pas précisément la fortune comme d’Havrecourt pour la satisfaction de ses appétits matériels, car il avait peu de besoins et il savait vivre de privations ; il souhaitait la fortune par l’orgueil féroce de l’homme longtemps méprisé pour sa bassesse ; il voulait montrer sa face patibulaire aux gens puissants, et faire sentir à la société le poids de son insolence de parvenu.

Doubledent demeurait rue de Paradis-Poissonnière, au quatrième étage d’un petit appartement confié aux soins d’une vieille domestique, espèce de séïde femelle d’une figure sinistre. Doubledent était célibataire, et sa vie apparente était très régulière. Levé de très grand matin, on le trouvait toujours exactement jusqu’à dix heures dans son cabinet dont la porte restait ouverte, et où il donnait des consultations gratuites aux pauvres gens du quartier.

Ce simple détail suffit pour peindre l’homme. Grâce à ces marques de bienfaisance, soutenues de quelques aumônes ostensibles, non-seulement il élevait un rem-