Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/317

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souffrances de ses camarades, et il dépensait avec des courtisanes de haut parage le mince héritage de son oncle.

Il avait, il est vrai, prêté immédiatement trois mille francs à Karl ; mais il savait bien que Karl, une fois devenu riche, ne serait pas embarrassé pour les lui rendre, il avait bien placé son argent, etc.

Enfin, les deux compères avaient exploité contre Georges Raymond même le peu de goût qu’il avait pour la musique. Un jour, en discutant, Georges avait dit que la musique était un art qui n’impliquait pas par lui-même de grandes facultés intellectuelles. Ecoiffier avait traduit le mot en disant que, suivant Georges Raymond, la musique était un art bête et il avait fait répéter le mot par Léon Gaupin.

Toutes ces calomnies, toutes ces insinuations savamment calculées, avaient échoué devant l’inaltérable confiance de Karl pour Georges Raymond ; mais qui peut dire qu’elles n’eussent pas jeté à son insu quelque trouble dans son cœur ? Dans tous les cas, Doubledent allait bientôt utiliser, comme on le verra, les germes de prévention qu’il avait fait semer par ses deux complices dans l’âme du jeune compositeur.

Lorsque Georges Raymond arriva rue Hautefeuille, Karl Elmerich était dans sa chambre en train de traduire au piano les morceaux de son opéra.

L’argent que Georges lui avait prêté n’avait pas servi à améliorer sensiblement sa position matérielle. Obéissant aux penchants exclusifs de son art, Karl s’était immédiatement acheté de la musique, un piano d’Érard, une flûte, divers instruments professionnels, et il était presque aussi pauvre qu’auparavant. Mais sa chambre avait un air de décence et de propreté qui