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chasseurs revient sur le premier agresseur qui l’a débusqué. Il m’avait écrit, pour repousser mes reproches, une lettre pleine de feintes. J’y répondis par une lettre publique qui fut reproduite par tous les journaux du Jura et par fragments dans quelques journaux parisiens.

Cette lutte publique contre Grévy, alors estimé, considéré comme un homme d’un caractère sûr, me donna le coup de grâce. Mes amis du Jura me retirèrent leur appui ostensible, tout en me conservant secrètement leur amitié ; et mon journal périt dans la bagarre, car il m’était impossible de lutter à ce moment contre tant de haines coalisées sous la direction d’un homme aussi influent à ce moment-là que M. Grévy.

Quoique le journal n’eût pas encore fait, en bonne comptabilité, un sou de perte, les acharnés obtinrent, à force de pression, la démission du gérant[1].

Chose rare en matière de journalisme, on remboursa tous les abonnés, et l’on rendit aux actionnaires une partie de leur argent. Jamais liquidation ne se termina dans des conditions d’aussi complète délicatesse ; mais ce n’était qu’un devoir, et il n’y a lieu d’en parler.

Résultat net pour moi : une année de travaux préparatoires perdue ; perte complète de mon cabinet et un peu plus d’ennemis qu’auparavant, sans compter l’hostilité croissante des gens de l’empire que je n’avais cessé d’attaquer dans mon journal, au point de compromettre mon succès, d’effrayer le personnel judiciaire et de m’attirer six procès.




Tout cela s’était passé pendant la période des élections générales.

Mis hors le Jura par M. Grévy, qui ne voulait à aucun prix avoir de collègue sérieux dans le département qu’il considère comme un fief de famille, je me présentai à Paris, comme candidat insermenté, dans la 1re et dans la 3e circonscription. L’insermentation était mon idée fixe ; je suis un des premiers qui aient mis l’idée en circulation, et, pur de tout serment préalable (j’insiste fort sur ce point), j’y allais de gaieté de cœur dans cette campagne.

M. Henri de Rochefort était alors en Belgique. J’essayai de me déployer dans la 1re circonscription ; mais là comme j’avais combattu le communisme dans les réunions de Belleville, MM. Gaillard, Ducasse, Briosne, Vermorel et tutti quanti me sautèrent à la gorge.

D’ailleurs le parti Rochefort faisait bonne garde, et je me heurtais d’autre part contre le clan de M. Laurier, qui riche, bon enfant, assez

  1. M. Lahure, excellent homme, d’une probité absolue, mais qui fut peut-être trop faible en cette circonstance.