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Je suis révolutionnaire parce qu’il faudra à la France au moins cinquante ans de révolution pour refaire ses mœurs et ses institutions. Or, comme il n’est pas probable que je vivrai quatre-vingt-dix ans, je cours donc risque d’être révolutionnaire toute ma vie, c’est-à-dire de faire un effort continu jusqu’à ma mort pour aider notre malheureux pays à se transformer.

En politique, je comprends les moyens extrêmes pour arriver à un but nécessaire et bien défini ; en cela je suis Jacobin, mais je n’aime pas les imitations et je ne me calquerais point pour agir sur tel ou tel personnage historique.

On a dit que la France était un pays de singes. Il y a du vrai dans ce reproche. Sortons de l’imitation. En politique comme en art, il y a toujours des hommes qui savent faire des choses nouvelles si on les laisse se produire.

Il faut vouloir tout ce qui est démontré bon, pratiquement parlant, au point de vue général ; mais il ne faut pas courir après des mirages et donner sa confiance à des fous. Il y a vingt ans que la France ne sait plus distinguer les hommes vraiment forts ou seulement honnêtes des histrions, des charlatans et des imbéciles. Il n’est que temps de commencer.

J’incline vers la décentralisation portée à ses dernières limites. La France ne revivra que lorsqu’elle aura refait son esprit provincial ; et, chose étrange, la terrible guerre qui nous dévore vient de prouver que la division départementale de la France l’a plus désagrégée d’elle-même que ne l’eût fait la conservation des anciennes divisions par province.

Je puis comprendre une dictature momentanée ou un décemvirat comme le comité de salut public, quand il s’agit du salut de la patrie ; mais la patrie sauvée, l’ordre légalement constitué, je veux qu’il y ait si peu de gouvernement qu’à peine on s’en aperçoive.

Mais avant d’en arriver là, que de tourmentes !… Quant à moi, quelles que soient les vicissitudes de mon pays, s’il me fait une modeste place dans la direction de ses affaires, j’ai pris une devise qui est conforme à la nature de mon esprit et de mon tempérament.

Vouloir avec énergie, avec passion, des choses pratiques et y sacrifier la popularité du jour même, pour mériter la popularité du lendemain.


Conciergerie, le 7 octobre, à minuit.


MAURICE JOLY.