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quand j’étais enfant, je riais aussi des singulières idées de mon grand-père !…




L’horreur du collège fut le premier de mes principes. Je me sauvais de toutes ces maisons pestilentielles, malgré les larmes de ma mère, et quoiqu’enfant je lui démontrais parfois, d’une manière si convaincante, l’impossibilité où j’étais de m’assujétir à la règle et d’apprendre quoique ce soit avec le système des collèges, qu’elle m’appelait Satan et me reprenait en riant avec elle.

La légende que j’ai laissée dans ma ville natale, c’est que j’ai déserté successivement cinq collèges, celui de Lons-le-Saulnier, celui de Dôle, de Dijon, de Châlons et de Besançon ; et la légende est vraie.

Ma mère, qui faisait toutes mes volontés, et mon père qui ne pouvait vaincre l’obstination de mon caractère, finirent par me laisser la bride sur le cou, quand j’arrivai en rhétorique, et je fus reçu bachelier ès-lettres à Dijon par le plus grand des hasards.

Je passe sur des aventures d’enfance et de jeune homme qui ne seraient point ici à leur place.

J’ai eu des amis un peu partout ; j’ai rencontré les types d’hommes les plus étranges ; il m’est arrivé les histoires les plus singulières par suite de la conformité particulière de mon esprit qui ne me permettait jamais de prendre un détour pour arriver au but que je me proposais et dans la poursuite duquel je déployais toujours une volonté obstinée, la volonté de mon grand-père.

J’interrompis mon droit à Dijon, en 1849, pour suivre à Paris les traces d’un de mes amis dont l’esprit et les allures exerçaient sur moi l’ascendant que Venture exerçait sur J.-J. Rousseau. Nous nous séparâmes au bout de quelques mois d’une vie commune, accidentée de beaucoup de mésaventures, et pendant laquelle nous avons essayé de faire ce qu’on appelle en province de la littérature.

Je me trouvai un beau jour, à Paris, sans aucune ressource et brouillé avec ma famille qui désapprouvait fort mes équipées. J’avais vingt ans ; né avec un immense fonds de timidité alliée à une hardiesse non moins grande, je ne me supposais aucune valeur et je prenais pour des niaiseries de provincial, ce que l’on disait de mes moyens quand j’étais au collège.

Ne sachant que faire, je m’avisai un jour que j’avais dans le fond de ma malle une correspondance de mon grand-père avec de hauts personnages du premier Empire, et je songeai que je pourrais peut-être tirer parti de ces papiers.