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sais depuis assez longtemps et dont je ne prévoyais guère à cette époque le retour à la vie politique. Je veux parler de M. Grévy, un homme qui m’a fait tout le mal qu’un homme peut faire à un autre homme sans le tuer.

En 1862, je végétais parce que je ne m’étais pas allié à une coterie, et que je négligeais comme toujours les petits moyens de parvenir.

J’avais plaidé de grosses et de petites affaires ; mais d’argent point. J’étais dans une mansarde.

M. Grévy me dit un jour : Vous n’arrivez à rien parce que vous ne savez pas tirer parti de votre intelligence ; vous avez un tour de style très-vif, le temps est aux portraits, vous êtes au barreau, faites des portraits d’avocats.

Après avoir professé la géographie, l’art théâtral, la littérature dramatique et l’économie sociale, je me dis : Faisons des portraits.

Avez-vous lu Gorgias ? Non, eh bien ! demandez : on vous dira que c’est le portrait du vice-président de la défense nationale, qui me tient en ce moment sous les verrous de la préfecture de police. J’en atteste les hommes impartiaux et les délicats, il était difficile, dans un portrait fait à la façon de Labruyère et de Théophraste, de mêler l’éloge à la critique avec plus de dignité sur un homme vivant. M. Jules Favre se venge-t-il en ce moment ? Je ne le crois pas.

Quoi qu’il en soit, l’effet de cette étude à la fois littéraire et artistique fut extrêmement grand au Palais. On ne connaissait pas l’auteur, on le demanda, on voulut le voir. Je fus immédiatement connu, même recherché. M. Hébert m’invita à ses soirées ; M. Mathieu me témoigna une bienveillance que je n’oublierai jamais quoiqu’il ait été une des chevilles ouvrières du régime déchu. Je n’ai jamais oublié ni un bienfait ni une injure. Italien par ma mère, Espagnol par mon grand-père (de race hispano-francomtoise), je ne cache point que j’ai du Midi dans les veines.

M. Dutard, autre avocat riche et bon enfant, à qui je n’ai jamais gardé rancune parce qu’il n’était pas méchant, voulut m’avoir pour secrétaire. Je me donnai à lui, et je puis me flatter d’avoir acquis à son école autant de tactique procédurière qu’il faudrait de tactique militaire au général Trochu pour battre les Prussiens.

Nous étions en 1863. Dans l’intervalle de la publication de Gorgias, à mon entrée chez Dutard en qualité de secrétaire, j’avais publié le Barreau de Paris, réunion de portraits d’avocats dont les mieux réussis, après Gorgias sont ceux de Berryer, Lachaud et Senard. On peut voir dans ce livre l’historique de mes premiers rapports avec le journal le Figaro, l’insertion spontanée de Gorgias dans ce journal, les avances de M. de Villemessant, etc. ; c’est ce même M. de Villemessant qui a tenté tout simplement de me faire égorger ces jours-ci en m’accusant « d’avoir