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Page:Maurice Leblanc (extrait L’homme à la peau de bique), 1999.djvu/5

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Le village fut terrifié.

C’était un dimanche. Les paysans de Saint-Nicolas et des environs sortaient de l’église et se répandaient à travers la place quand, tout à coup, des femmes, qui marchaient en avant et tournaient déjà sur la grande route, refluèrent en poussant des cris d’épouvante.

Et aussitôt on aperçut, énorme, effroyable, pareille à un monstre, une automobile qui débouchait à une allure vertigineuse. Parmi les clameurs et la fuite éperdue des gens, elle piqua droit vers l’église, vira au moment même où elle allait se briser contre les marches, frôla le mur du presbytère, retrouva le prolongement de la route nationale, s’éloigna, sans même avoir — miracle incompréhensible ! — effleuré, en ce crochet diabolique, une seule des personnes qui encombraient la place… et disparut.

Mais on avait vu ! On avait vu, sur le siège, couvert d’une peau de bique, coiffé de fourrure, le visage masqué de grosses lunettes, un homme qui conduisait ; et, près de lui, sur le devant de ce siège, renversée, ployée en deux, une femme dont la tête ensanglantée pendait au-dessus du capot.

Et on avait entendu ! On avait entendu les cris de cette femme, cris d’horreur, cris d’agonie…

Et ce fut une telle vision de carnage et d’enfer que les gens demeurèrent, quelques secondes, immobiles, stupides.

— Du sang ! hurla quelqu’un.

Il y en avait partout, du sang, sur les cailloux de la place, sur la terre que les premières gelées de l’automne avaient durcie, et, lorsque des gamins et des hommes s’élancèrent à la poursuite de l’auto, ils n’eurent qu’à se diriger d’après ces marques sinistres.

Elles suivaient d’ailleurs la grande route, mais d’une si étrange manière ! allant d’un côté à l’autre, et traçant, près du sillage des pneumatiques, une piste en zigzag qui donnait le frisson. Comment l’automobile n’avait-elle pas heurté cet arbre ? Comment avait-on pu la redresser avant qu’elle ne fît